épisode 8: nuits cristallines

Episode 8 : nuits cristallines.

« Comment ? C'est par nuit pure que tu écris ces lignes ? Avec des milliers d'étoiles à portée de rétine ? »

Oui cher lecteur, c'est sous un ciel franchement sublime que je m'adresse à vous.
Pas depuis ma « chambre ciel de Chapois » d'Azilal, non, astramilège plus impardonnable encore : je griffonne ces mots à la clarté de quelques chandelles, installé dans mon pied-à-terre de Aït M'Hamed, à deux mètres d'un ciel où la Voie lactée ressemble à des guirlandes d'un soir de fête.

« Hein ? Oui ??!!? C'est vrai ? Un logement dans le village-même-que-tu-aimes-tellement-d'en-râler-quand-on-y-va-sans-toi ? » entends-je crépiter votre clavier.
Oui oui ! Tout à fait ! ( Enfin, question logement, façon de parler : c'est encore provisoire…allez, disons un abri)



Plutôt que de risquer l'overdose, il me faut vous raconter les cieux d'ici.

La rivière, la roche…et le firmament, un croquis de Aït M'Hamed.

Une différence de 400 mètres d'altitude, des affleurements de roche calcaire, le chêne vert qui cède place aux genévriers…
Plus proche de 400 mètres des étoiles !
En effet, l'éloignement des lampes-à-terre fait qu'elles sont là, innombrables, brillantes, toutes proches.
Suffit de lever les yeux et tendre la main.

Exit Azilal alors ?
Non, Azilal c'est astram niveau 3 tandis que Aït M'Hamed, c'est astrobsédé niveau 6 (sur l'échelle de Hubble, qui, je viens de l'apprendre, en compte 5)
Surtout le « plateau » Ahbab, l'endroit de mes plus magiques nuitées.

En détour par une piste en terre battue ou alors par le sentier des mulets, on y accède non sans difficultés.
Mais quel bonheur ce bout de grimpette !
Un paysage dont on ne soupçonne pas l'existence, là sur cette colline à 100 mètres vol d'oiseau depuis l'oued.
Totalement différent, une autre planète, un autre monde, dernière halte avant l'infini.
Dégagé sur des kilomètres, l'horizon Sud est partagé entre la massif du M'Goun et en cette saison, le fleuve Eridan.
Ma première impression était de me sentir tout petit. Petit mais en trop : comme une punaise sur le parquet.
Ce n'est pas d'avoir le souffle coupé, je le retiens.
Me faire discret, plus petit encore.
Car le silence est vivant, il a un message : faut écouter ce que la chaude brise joue dans les cheveux. Elle chante une invitation : « ouvre ton âme et laisse l'espace effacer les traces de tes soucis. Ouvre ton esprit. Oublie tes certitudes et laisse le ciel te répondre.
C'est bien, tu n'as pas emporté ta montre, tu as le temps.
Que serait-ce vaniteux tic-tac quand c'est la voûte céleste qui te transporte, irrésistiblement, dans son lent et silencieux mouvement. »

La voûte cristalline, envoutante, émouvante !
« Maintenant, ferme tes paupières et regarde : tu peux mesurer les distances dans le ciel. Tu n'es plus une punaise, tu ne représentes plus rien, mais tu es !
Bienvenue chez toi petite poussière des étoiles, viens visiter l'immensité de la maternité ! »

A y est ? Remis des émotions ? Môssieur réalise qu'il fait partie de l'Univers ?
Paaaaaarfait ! Pas oublier de reprendre sa respiration là, faut s'oxygéner et profiter de l'air pagne de la monture au lieu de faire de son Mayol de l'immersion dans le grand bleu nuit.

Tout cela pour dire que question émotions d'astram, j'ai été servi.

Après la patience dans la verdure, récompense dans l'azur !

Ah la voûte, sphère de cristal animée.
En promenant le regard du Scorpion vers l'Ecu, la Voie lactée se montre plus riche encore que la zone phare de l'été, le triangle Deneb Véga Altaïr.
La théière fait monter la vapeur et la pression de l'astram qui voudrait tout pointer.
Impossible, Trop à voir, il y a de quoi passer des nuits et des nuits, toute la saison, année après année.
Les papillons cosmiques M7 et M6 (oui, aux jumelles, je trouve que le nuage de Ptolémée ressemble aussi à un papillon) attirent l'attention dans ce champ fleuri d'amas.
A l'œil nu se distinguent les angles du parterre formé par M22, M8, M23 et M25.
Quant-aux fiestas de concentrations d'étoiles, M24 et le nuage de l'Ecu, waow !
C'était quoi encore l'expression ? Voir Capri et mourir ?
Taratata (ou lâlâlâlâ en arabe) : faut d'abord une baignade dans ce jacuzzi pétillant.
A l'œil nu (ça fait du bien), aux jumelles (extraordinaire), aux lunettes ou télescopes grand champ (fabuleux) ou alors détailler en poussant diamètre et grossissement (incroyable…je ne sais pas bien comment ça ira, de retour sous le ciel Boréal soi-dit en passant)


Tiens, à propos de diamètre…

La netteté des zones sombres style Barnards & Co m'a vraiment frappé.
Où c'est sensé être dark, c'est black.
Les zones cataloguées ne sont probablement que les plus étalées ou celles avec indice d'absorption les plus élevées, mais il y en a tellement d'autres !
Les répertorier rendrait un atlas illisible.
Tout au long de la Voie lactée, le ciel est un camaïeu argenté, parsemé d'étoiles brillantes qui se détachent du fond noir de chez noir ou alors au contraire plutôt grisâtre.
Le ciel y est jalonné de « nuages » plus clairs et partout partout partout décoré d'une infinité de filets, courbes, lignes et arabesques d'étoiles.
J'oserais dire que le semeur d'étoiles a commis une faute de goût là ?
La simple beauté d'un amas ouvert est noyée dans son riche environnement.
On dirait le gâchis d'un excès de zèle causé par l'artiste qui n'a pas déposé brosses et pinceaux à temps, quand l'œuvre était parfaite.
Un bémol alors devant ce spectacle hautement baroque ?
Oh que non évidemment : suffit de descendre en diamètre ! (J'ai osé)
Et c'est surtout valable pour l'astram débutant. Le double amas de Persée par exemple, au T300, ça donne : « Faut voir quoi exactement ? Il est où ? Il y a des limites ?»

Ma conclusion après ce superbe ciel: pour bien observer, il n'y a pas que le grossissement qu'on peut changer, le diamètre s'adapte aussi (j'ose encore !).
Y aller progressivement donc, souffler sur la harira, sentir, goûter, touiller, mélanger…puis déguster.

Et avant cela, dévorer des yeux !
Plus question de diamètre, l'observation à l'œil nu et aux jumelles est peut-être la plus fascinante..
Sur le plateau on trouve des dalles naturelles, endroit idéal pour se coucher et se laisser bercer par une divine bal(l)ade.
Le long de la Voie lactée, ou à la découverte des constellations chères à La Caille, aux noms « exotiques » comme l'atelier du sculpteur, le fourneau du chimiste, le microscope, le télescope…noms qui évoquent les grands voyages scientifiques du siècle des lumières.
Parfois l'aboiement des chiens rappelle qu'on est sur Terre, ou alors on se laisse surprendre par un berger matinal, sorti de nulle part et se rendant à dos d'âne au village encore endormi.
La chaleur emmagasinée par la dalle se distille doucement pour compenser l'air de plus en plus frisquet de l'aube.



Quand arrive le crépuscule, la nuit s'efface lentement. Les étoiles, brillantes jusqu'à travers les branches d'arbustes, s'en vont rejoindre le souvenir d'une nuit belle à merveille, leïla jamîla.

A suivre…


03/09/2009
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